Analyses chimiques

L’Ineris a mobilisé ses laboratoires, pour réaliser des analyses chimiques sur les échantillons prélevés dans les heures et jours qui ont suivi le déclenchement de l’incendie de Lubrizol. Ces analyses, conduites sur des prélèvements d’air et de dépôts de suie en surface, ont confirmé la nature des polluants contenus dans les retombées des fumées et fourni une première évaluation de leur concentration dans l’environnement.

Sur quels échantillons les analyses ont-elles été réalisées ?

Pour permettre d’identifier rapidement les risques dans la phase active de l’incendie, les pouvoirs publics ont fait réaliser dès le 26 septembre, des prélèvements dans l’environnement. Les échantillons ont été prélevés par les services d’intervention (SDIS 76), Atmo Normandie et un bureau d’études (Bureau Veritas) agréé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, dans le cadre du Réseau d’intervenants en situation post-accidentelle (RIPA).

Les pouvoirs publics ont demandé à l’Ineris de réaliser les analyses chimiques sur certains de ces prélèvements (air et dépôts en surface). L’Institut a sélectionné les substances à analyser, en cohérence avec la méthodologie post-accidentelle qu’il a élaborée en 2011.

Les laboratoires de l’Institut ont reçu, entre le 26 septembre et le 1er octobre, quinze échantillons d’air à analyser. Ces échantillons ont été prélevés par le SDIS76 ou Atmo Normandie les 26 et 27 septembre, au moyen de 5 sacs Tedlar® et de 10 canisters, matériel de prélèvement couramment utilisé dans la mesure de polluants dans l’air.

 

Canister et sac Tedlar® pour le prélèvement d’air
[Illustration] Canister et sac Tedlar® pour le prélèvement d’air
 
Lingettes
[Illustration] lingettes de prélèvement

 

Dans les premiers jours de l’incendie, des prélèvements surfaciques ont également été réalisés pour récupérer des échantillons de dépôts solides (suies), qui sont retombés à la suite de la dispersion des fumées. Ces prélèvements ont été réalisés sur tout type de surface (sol, objets...), à l’aide d’un outil exploratoire facile à mettre en œuvre : des « lingettes » utilisable avec un gabarit, qui permet de calibrer une surface d’échantillonnage de 100 cm².
Il a ainsi été possible de déployer rapidement l’échantillonnage sur plusieurs départements, grâce à l’usage de protocoles de prélèvement simples et standardisés. Les SDIS et Bureau Veritas ont choisi les zones de prélèvements dans chacune des localisations déterminées par la DREAL Normandie.
Dans les sept jours après le départ de l’incendie, une première recherche systématique de polluants a pu être conduite sur 52 points répartis à différentes distances de l’incendie, dans la direction de dispersion du panache (agglomération de Rouen, Pays de Bray, Oise, Aisne, Somme, Nord, Pas-de-Calais).

A quoi ont servi les résultats d’analyses de l’Ineris ?

Ce type de prélèvements est utilisé dans les premiers instants d’une situation post accidentelle, pour confirmer la nature et la quantité de polluants présents dans l’environnement auxquels les populations sont susceptibles d’être exposées. Cette première approche vise à s’assurer qu’il n’y a pas de situation de danger immédiat pour la santé des personnes, si elles inhalent les fumées ou si elles sont en contact avec les dépôts de suie.

Les échantillons d’air ont été analysés et interprétés par l’Ineris en moins de 24 heures, pour les 6 échantillons correspondant aux premières heures de l’incendie. Il s’agit des premiers résultats à fournir une analyse fine des substances présentes dans l’air, quelques heures après le démarrage de l’incendie. Les résultats des autres échantillons ont été rendus dans les deux à trois jours.
Pour répondre à l’objectif d’estimer le risque immédiat, la stratégie analytique a fait le choix de conduire une recherche systématique d’une large gamme de substances (ou « criblage », de l’anglais screening). Ce type d’analyse a pour objectif de donner un résultat, par rapport aux niveaux de concentration de polluants connus pour générer un risque immédiat. Ces seuils de concentration sont calculés à partir de durées d’exposition de quelques heures à quinze jours (cohérentes avec la durée des échantillonnages de quelques minutes, par sac ou canister).
Pour évaluer les risques pour la santé à plus long terme, il est indispensable de comparer les mesures à des seuils d’exposition sur des durées de plusieurs semaines. Cela nécessite de recourir à des techniques de prélèvement différentes (support solide dit de « piégeage » de l’air), avec un échantillonnage effectué sur une durée plus longue.

Outre vérifier l’absence de risque immédiat, les prélèvements de surface ont eu pour but de confirmer « le marquage environnemental », i.e. les zones potentiellement impactées par les retombées des fumées, et d’estimer le niveau d’intensité de ce marquage, pour aider à identifier les investigations complémentaires à réaliser. Des premiers résultats ont pu être fournis moins de 36 heures après le début de l’incendie, puis régulièrement entre le 27 septembre et le 19 octobre.
Ce type d’analyse ne peut se substituer à des pratiques plus adaptées pour évaluer précisément le risque sanitaire dans la durée, comme les prélèvements de sols ou de végétaux. Ces derniers accumulent en effet les polluants, suivant des processus qui ne peuvent être pris en compte au moyen de ces prélèvements.

En quoi consiste la caractérisation des polluants présents dans l’environnement ?

Les analyses chimiques de « criblage » ont d’abord permis  d’identifier la nature des polluants, i.e. de vérifier la présence ou l’absence, dans l’air et dans les suies, des polluants les plus préoccupants vis-à-vis de la santé et la biodiversité. Les analyses d’air ont ciblé les Composés organiques volatils (COV), dont des hydrocarbures aromatiques polycycliques, benzène, toluène... et des composés soufrés (sulfure d’hydrogène, mercaptan...). Concernant les dépôts de suie, la détection a porté sur trois familles de polluants : les métaux lourds (cadmium, plomb, chrome...), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les dioxines et furannes (PCCD/F).

Au-delà de la nature des polluants, ces analyses chimiques visent également à en évaluer la quantité présente dans l’environnement. Ce processus qui se déroule en laboratoire est complexe et doit respecter des étapes-clés pour garantir la fiabilité des résultats.
L’analyse de lingettes a par exemple, nécessité une phase d’extraction des substances du support de prélèvement, en utilisant un produit solvant pour les HAP et par technique dite d’« attaque acide » dans des micro-ondes pour les métaux. Les extraits obtenus sont ensuite analysés selon différentes techniques en fonction des substances :
-    pour les HAP, la chromatographie liquide permet d’abord de séparer les substances les unes des autres, avant de les identifier à l’aide de détecteur à fluorescence ou UV ;
-     pour les métaux, les extraits sont passés dans une torche à plasma, qui permet l’analyse simultanée de nombreux éléments chimiques.
Pour obtenir un résultat quantitatif fiable, il est nécessaire de mesurer le contenu des échantillons, en le comparant à une quantité de référence (ou étalon), qui est spécifique à chacune des substances recherchées.

L’Ineris a confié les extractions et analyses des dioxines à un laboratoire spécialisé dans les techniques d’analyse de cette famille de substances.

Appareil de chromatographie en phase liquide (analyse des HAP)
[Illustration] Appareil de chromatographie en phase liquide (analyse des HAP)
Appareil de spectrométrie de masse à plasma (analyse des métaux)
[Illustration] Appareil de spectrométrie de masse à plasma (analyse des métaux)