L’expertise post-accidentelle à l’Ineris

L’expertise post-accidentelle, que l’Ineris a mobilisé dans le cadre de l’incendie de Lubrizol, se fonde sur un retour d’expérience d’accidents industriels construit depuis quinze ans. Cette expérience a permis à l’Institut de prendre une part active à l’évolution des pratiques dans ce domaine. L’Institut continue aujourd’hui à réfléchir à l’approfondissement de son expertise post-accidentelle, en cohérence avec ses compétences en matière d’urgence.

Plus d’une décennie d’expertise post-accidentelle

Le retour d’expérience sur les conséquences écologiques des accidents industriels a fait l’objet d’une réflexion générale des acteurs de l’expertise en santé-environnement dans les années 2000, avec notamment la publication en 2008 d’un avis du Comité de la précaution et de la prévention (CPP).

L’intérêt que l’Ineris porte à l’expertise post-accidentelle s’inscrit dans ce mouvement, et l’Institut a conduit dès le milieu des années 2000 de premiers travaux de retours d’expérience sur des situations post-accidentelles concrètes survenues dans l’hexagone. C’est cette expérience acquise depuis près de quinze ans qui a nourri les avis et recommandations de l’Institut dans le cadre de l’incendie de Lubrizol,

 

Aux origines de l’expertise post-accidentelle de l’Ineris
Un des premiers événements sur lequel l’Institut est intervenu a été l’accident de SBM Formulation le 27 juin 2005, à Béziers : l’incendie de cette usine de produits phytosanitaires portait sur environ 1000 tonnes de produits. L’Ineris a ainsi rédigé en 2007 un premier rapport sur cet incendie, ceux de La Rochette-Venizel (2001), d’Artaix (2003) et sur le largage accidentel de gaz et d’aérosols à Semoy (2002).
Une autre synthèse a été produite sur les polluants organiques persistants (dioxines et PCB), à partir de l’étude de cinq cas d’accidents survenus entre 2006 et 2011 : trois incendies (Redon en 2006, Saint-Cyprien en 2008, Dieuze en 2010) et deux déversements (La Chapelle Réanville en 2009 et Nantes en 2011).

Les enseignements du retour d’expérience : des règles d’action

Les enseignements tirés par l’Ineris ont permis de construire des inventaires-types des produits émis dans différentes situations accidentelles, permettant d’accélérer les appuis aux situations d’urgence. Ces inventaires sont ainsi intégrés dans des « fiches réflexes », qui comptent aujourd’hui parmi les outils avec lesquels la Cellule d’appui aux situations d’urgence (CASU) de l’Ineris peut venir en appui des services de l’Etat.

Le retour d’expérience a également mis en évidence deux difficultés : le besoin de capturer des expositions qui peuvent être fugaces (air au passage d’un nuage, eau emportée par un courant) ; le besoin de retracer l’impact d’un événement par rapport au « fond » de pollution existant. En effet, les polluants émis ne sont généralement peu spécifiques et déjà présents sur le territoire, qu’il s’agisse de produits de combustion partielle ou complète, ou des produits originaux imbrûlés, même quand ceux-ci semblent spécifiques (phytosanitaires par exemple).

Pour accélérer la réalisation de prélèvements et d’analyses dans les heures suivant un accident, le Réseau d’intervenants en situation post-accidentelle, animé par l’Ineris, a été rendu opérationnel depuis septembre 2013. Il permet de fournir aux services concernés par l’accident une liste d’opérateurs mobilisables à proximité du lieu de l’accident.
Pour construire des stratégies de prélèvements, il faut savoir sur quoi et comment prélever, mais aussi avoir une stratégie qui permette de d’identifier la « signature » de l’événement par rapport aux niveaux de pollution ambiants. Il faut donc à la fois prélever dans les zones exposées mais aussi dans les zones non-exposées, et jouer sur les processus de contamination de l’environnement pour collecter les données pertinentes (par exemple des légumes racines ne retracent pas immédiatement des retombées, contrairement aux légumes feuilles). L’Ineris a synthétisé des conseils pratiques dans des fiches réflexes et un document de référence consacré aux stratégies de prélèvement en situation post-accidentelle.

L’expérience acquise par l’Institut a aussi montré la nécessité de renforcer la cohérence des dispositifs de gestion de l’urgence et de gestion à moyen-long terme. Au milieu des années 2000, la recherche des substances disséminées dans l’environnement ne démarrait que longtemps après un accident. Or il est indispensable que la gestion à plus long terme (analyse de l’événement avec la réalisation de prélèvements conservatoires, stratégie de prévention des risques pour la santé et l’environnement vis-à-vis des retombées) démarre dès le déclenchement de l'accident, sans attendre la fin de la phase d'urgence (par exemple la lutte contre un incendie, avec des préoccupations comme l’extinction du feu et la mise en sécurité des populations). Des réponses ont été proposées et reprises par les services de l’Etat, dans la circulaire du 20 février 2012 relative à la gestion des impacts environnementaux et sanitaires d’évènements d’origine technologique en situation post-accidentelle, qui évoque notamment la mise en œuvre d’une cellule post-accident, et qui est accompagnée d’un guide méthodologique.

Quelles pistes d’orientations futures ?

L’Institut poursuit la réflexion sur son expertise post-accidentelle et son lien avec l’expertise en situation d’urgence, développée depuis 2003 à l’Ineris par le biais de la CASU. L’incendie de Lubrizol a donné l’opportunité à l’Institut, dans le cadre de sa démarche d’ouverture à la société, de partager ses questionnements avec les parties prenantes de la société civile intéressées aux questions de risque industriel et de santé-environnement.

L’expertise de l’Institut a été mise en débat dans le cadre des travaux de la Commission d’orientation de la recherche et de l’expertise (CORE), instance de gouvernance sociétale de l’Institut, chargée de donner des avis sur ses programmes de travail.

La CORE a jugé l’implication de l’Ineris « pertinente, essentielle et normale, compte-tenu du positionnement de l’Institut, de ses capacités humaines et techniques d’expertise (...) ». La Commission a analysé la valeur ajoutée de l’Ineris en matière de situation d’urgence et post-accidentelle, en soulignant notamment l’intérêt pour l’Etat, face à un risque technologique et industriel majeur, de pouvoir s’appuyer sur une expertise combinée en risques accidentels (risques immédiats) et en risques chroniques (risques différés dans le temps). La CORE a mis en exergue l’aptitude de l’Institut à « disposer de bases de données [et] de capacités de simulation extrêmement réactives, à anticiper les méthodologies via des « guides réalisés à froid », à pouvoir s’appuyer sur ce retour d’expérience unique ».

« La CORE estime que l’Ineris a de facto, une position de leader en matière d’appui technique aux situations d’urgence liées au risque industriel ; l’Institut pourrait se voir confier un rôle de coordination de l’expertise dans ce type de contexte, avec les moyens associés. Plus largement, il semble indispensable que l’Etat mette davantage en cohérence les différents dispositifs d’appui en situation d’urgence. La Commission encourage l’Institut à apporter une attention particulière au maintien, voire au développement de son expertise post-accidentelle, qui fait le lien entre les compétences sur les risques immédiats et les risques à long terme. L’Institut a également un rôle essentiel à jouer en matière d’enquête après-accident et d’accompagnement à la communication/diffusion des informations techniques ».

Les recommandations de la CORE à l’Ineris