Enjeux de métrologie des rejets industriels à l’atmosphère en lien avec la Directive sur les émissions industrielles (IED)

Selon les estimations de la commission européenne, les installations IED émettent environ 20% des émissions totales de polluants réglementés vers l’atmosphère. La Directive sur les émissions industrielles (IED) et les documents de références l’accompagnant (BREF) constituent un des leviers principaux pour la réduction des émissions de polluants considérés comme « clés » pour les secteurs industriels et agro-industriels en Europe. Durant la phase initiale de création des BREF, entre 2001 et 2009, les travaux se sont focalisés sur les polluants les plus classiques (oxydes d’azote, oxydes de soufre, poussières, etc). La première phase de révision (depuis 2013) a fixé des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions mais elle a aussi élargi le périmètre des composés considérés en incluant notamment des composés organiques volatils.

Emissions canalisées

1 - Impact de l’abaissement des niveaux d’émission associés aux MTD : poussières, NOx, SOx…

L’abaissement des valeurs limites d’émission (VLE) fixées par l’IED et les BREF pose la question de la capacité des méthodes de mesurage de référence normalisées, à répondre aux exigences de limite de quantification et d’incertitude à des niveaux d’émission de plus en plus réduits. Dans ce contexte, l’Ineris a été mobilisé dans diverses études relatives à l’aptitude des méthodes de mesurage à satisfaire les nouvelles exigences de caractérisation de niveaux d’émission imposées par les BREF, tant pour la surveillance en continu gérée par les exploitants, que pour la surveillance périodique mise en œuvre par des laboratoires de contrôle.

Deux modes d’estimation de l’incertitude de mesure sont couramment utilisés dans le domaine des mesurages à l’émission. La première approche, dite par budget d’incertitudes, combine les contributions des caractéristiques métrologiques et de sensibilité aux paramètres d’influence (interférents, température ambiante, pression…) du système de mesurage. La seconde approche utilise les résultats des comparaisons interlaboratoires (CIL) au cours desquelles plusieurs laboratoires mettent en œuvre simultanément la méthode de mesurage sur une même matrice. Les CIL organisées sous accréditation COFRAC (accréditation n°1-2291, portée fixe disponible sur www.cofrac.fr et portée détaillée communiquée sur demande) par l’Ineris, sur un banc d’essais, montrent que le facteur humain, c’est-à-dire la façon dont les méthodes sont mises en œuvre dans des conditions parfois contraignantes, mais aussi la variabilité des performances des différents systèmes de mesurage des participants contribuent de manière importante à l’incertitude globale des méthodes de mesurage.

Méthodes manuelles/ méthodes automatiques /méthodes de référence

On distingue deux types de méthodes de caractérisation des émissions dans l’air :

  • les méthodes dites manuelles comprenant une phase de prélèvement sur site au moyen de supports adaptés et une analyse de ces supports en différé, par un laboratoire d'analyse ;
  • les méthodes dites automatiques basées sur un mesurage intégrant le prélèvement et l’analyse réalisé par un système automatisé en ligne.
La surveillance en continu repose sur des méthodes automatiques. En revanche, la surveillance périodique fait appel à des méthodes de référence qui peuvent être manuelles ou automatiques selon les composés. Ces méthodes de référence appliquées par les laboratoires de contrôle sont décrites dans les référentiels normatifs, listés dans un avis du Ministère en charge de l'Environnement, et mis à jour en fonction de l'évolution des normes.   
CIL
Banc d'essai des comparaisons interlaboratoires de l'Ineris

 

Les enseignements des études menées sur les performances des méthodes de mesurage  sont rassemblés dans le rapport Surveillance des rejets à l'atmosphère : proposition de nouvelles dispositions pour les contrôles réglementaires dans la perspective d'une diminution des VLE
Ils ont contribué à la publication en octobre 2021 de la norme NF X 43-551, rédigée collégialement par la commission de normalisation AFNOR X 43B présidée par l’Ineris. Cette norme vise notamment à harmoniser et clarifier les approches dans la mise en œuvre des méthodes de mesurage lors des contrôles réglementaires, en prenant en compte le contexte d’abaissement des VLE. L’Ineris est également investi sur cette thématique dans le cadre des projets de recherche européens EMPIR Impress 2, et EMPIR Heroes à travers la réalisation d’intercomparaisons de méthodes. Ces intercomparaisons sont réalisées sur un banc d’essais permettant de générer des matrices de combustion, au besoin en ajoutant des composés spécifiques, afin de simuler des émissions industrielles. Ces projets ont pour objectif d’évaluer les performances et les niveaux d’incertitudes des méthodes manuelles et automatiques de caractérisations des émissions de HCl, NH3, formaldéhyde à faibles niveaux de concentrations.
Il est à noter que la proposition de révision de l’IED publiée en avril 2022 prévoit une harmonisation au niveau européen des méthodes d’évaluation du respect de la conformité des niveaux d’émission associés aux meilleures techniques disponibles (MTD) décrites dans les BREF, ainsi qu’une harmonisation des modalités de prise en compte des incertitudes de mesure dans les différents textes associés. Dans le cadre de ses missions d’appui, l’Ineris fournit un éclairage sur cette problématique au Ministère en charge de l’Environnement, en s’appuyant sur son expertise transversale sur les sujets IED et métrologie des émissions.

2 - Nouvelles contraintes de surveillance sur certains polluants : les COV spécifiques

Le BREF WGC (Systèmes communs de traitement et de gestion des gaz résiduels dans l'industrie chimique) a élargi le périmètre des polluants visés spécifiant onze composés organiques volatils(1),  pour lesquels une valeur limite de 1 mg/Nm3 est requise.

La caractérisation des émissions atmosphériques de COV fait l'objet d’un bulletin EMIS dans lequel l’Ineris fait le point sur les méthodes disponibles.

Méthodes de mesurage des émissions de COV spécifiques

Si le mesurage d’un indice global des COV est maitrisé, la caractérisation des composés individuels ou spécifiques demeure peu répandue en raison de performances insuffisantes des méthodes sur des matrices de type émissions et d’un manque de sensibilité vis-à-vis des interférents et ce malgré l’existence de textes normatifs pour certains composés.

Ces méthodes sont généralement basées :

  • sur des prélèvements sur support solide ou en solution associés à des analyses au laboratoire par chromatographie gazeuse ou liquide pour les méthodes manuelles ;
  • sur des mesurages par chromatographie gazeuse / spectrométrie de masse portable, ou par des techniques optiques de type diodes laser pour les méthodes automatiques.

Elles ont généralement été développées pour caractériser les COV à des concentrations et dans des matrices présentant des conditions d’humidité et de température proches des conditions ambiantes. Leur utilisation pour caractériser des COV spécifiques à l’émission, c’est-à-dire dans des matrices concentrées, chaudes et humides, nécessite une étape de conditionnement de l’effluent. Des travaux de développement sont prévus dans le cadre d'un nouvel axe de recherche, mis en place en 2022 à l’Ineris pour améliorer ces méthodes et permettre leur utilisation dans un cadre réglementaire et pour répondre aux prescriptions des BREF STS et WGC notamment.

Documents de référence nationaux et européens décrivant les méthodes de prélèvement/analyse de COV spécifiques dans les émissions atmosphériques canalisées

Les méthodes de prélèvement/analyse de COV spécifiques dans les émissions atmosphériques canalisées sont décrites dans trois documents de référence :
  • le fascicule de documentation FD X43-319, publié en novembre 2010 par un sous-groupe de la commission AFNOR X43B animé par l’Ineris, porte sur la mise en œuvre de méthodes manuelles pour la mesure de COV spécifiques à l’émission d’installations industrielles,
  • la spécification technique européenne CEN/TS 13649, publiée en décembre 2014 dont le contenu est plus limité que le texte précédent, ne s’applique qu’aux seuls composés adsorbables sur charbon actif,
  • la spécification technique européenne CEN/TS 17638 est dédiée à la mesure de la concentration en formaldéhyde par méthodes manuelles. Elle s’applique aux mesures de concentration en formaldéhyde comprises entre 2 mg/m3 et 60 mg/m3.
    Le groupe CEN TC 264 WG 40 en charge de la caractérisation des émissions de formaldéhyde travaille également à la rédaction d’un texte décrivant l’utilisation de méthodes automatiques pour déterminer les émissions de formaldéhyde.

Emissions diffuses

Les émissions diffuses sont définies comme les émissions non canalisées, non maîtrisées. Elles concernent aussi bien les substances volatiles que les poussières et touchent de nombreux secteurs comme les raffineries de pétrole, les procédés de chimie industrielle, la métallurgie, les installations de stockage, ou encore les installations agricoles. Elles peuvent représenter une proportion majoritaire des émissions totales et avoir un impact significatif sur l'environnement.

La question des émissions diffuses a été soulevée au sein du BREF REF (Raffineries) pour les émissions fugitives (fuites des brides, vannes, etc) puis dans les BREF CWW (Systèmes communs de traitement et de gestion des eaux et des gaz résiduels dans l'industrie chimique) et WT (traitement des déchets). Dans le BREF WGC (Systèmes communs de traitement et de gestion des gaz résiduels dans l'industrie chimique) des exigences de quantifications en particulier pour les émissions non fugitives (issues des évents, des bassins) sont apparues (pour une mise en conformité en décembre 2026).

Quelques chiffres-clefs

Les données rassemblées dans le cadre du BREF relatif aux effluents atmosphériques de la chimie (WGC – 2022) ont montré que la fraction des émissions diffuses peut représenter de l’ordre de 80% des émissions totales en COV et jusqu’à plus de 90% pour certains Cancérigènes Mutagènes Reprotoxiques comme le benzène et  le 1,3-butadiène.    

 

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Exemple d’un site industriel présentant une grande variété de sources d’émissions diffuses

Ces émissions présentent une forte variabilité temporelle, liée aux conditions de fonctionnement des installations et aux conditions météorologiques (température, vitesse du vent, etc.). Leurs sources peuvent être aussi bien ponctuelles, linéaires que surfaciques, parfois de grandes dimensions ou difficilement accessibles. Elles ont des causes multiples et sont issues notamment :
-    de défauts d’étanchéités des installations (i.e. émissions fugitives) ;
-    du stockage ou de procédés de traitement, ou sont inhérentes au fonctionnement d’une structure ;
-    de la manutention comme les opérations de chargement/déchargement ;
-    d’opérations non routinières comme l’arrêt ou le démarrage d’une installation et des maintenances ;
-    d’émissions secondaires résultant de la manipulation des déchets.

Du fait de leur grande diversité et variabilité, les flux d’émissions diffuses restent difficiles à quantifier. Ils sont, en général, déterminés par des méthodes parfois peu précises (calculs à partir de corrélations ou de facteurs d’émission généraux lorsqu’ils existent ou encore de bilans massiques). Il n’existe pas de méthode unique répondant à l’ensemble des enjeux de caractérisation et à tous les polluants concernés. Il est parfois possible de se ramener à une émission canalisée ou semi-canalisée pour estimer le flux (ensachage, chambre d’échantillonnage, mesures aux ouvertures d’un bâtiment) cependant la mise en œuvre peut être complexe et non généralisable à de nombreuses ou larges sources.

En cohérence avec les exigences des BREF, l’Ineris s’implique dans :
-    les travaux de normalisation européenne en cours dans le cadre du CEN TC 264 sur la qualité de l’air à travers la participation au GT 38 (Emissions diffuses de COV) et l’animation du GT 47 (Emissions diffuses provenant des évents de bâtiments et des ouvertures de toit) ;
-    l’animation du sous-groupe AFNOR en charge de la rédaction du guide GA X43-138 « Émissions de sources fixes - Émissions diffuses aux lanterneaux - Recommandations pour la mise en œuvre de la méthode de mesurage » publié en 2014 ;
-    une veille technologique et une recherche méthodologique constante afin d’établir un cadre plus adapté à la caractérisation des émissions diffuses.

Concernant les émissions fugitives de COV, l’Ineris a rédigé dès 2004 le Guide d'application de la méthode d'estimation des émissions fugitives aux équipements et canalisations par ensachage. Depuis quelques années, un programme Leak Detection and Repair (LDAR) est mis en place par certains industriels, notamment raffineries et sites pétrochimiques, en accord avec la norme EN 15446. Il prévoit une mesure régulière des concentrations au niveau des fuites potentielles par sniffing, parfois accompagnée de techniques d’imagerie optique des gaz (OGI) pour faciliter leur localisation ou pour les sources inaccessibles. Les fuites présentant une concentration supérieure à un seuil en ppm à 1 cm de la source sont ainsi systématiquement réparées.

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Exemple de mesure d’un flux d’émission par télédétection optique

Le guide Ineris relatif à la surveillance dans l'air autour des installations classées précise la méthodologie pour définir le polluant à surveiller, la métrologie à mettre en œuvre, le choix des emplacements et la période de mesures, mais également la démarche pour l’interprétation des résultats des campagnes de mesure. Une liste des équipements adaptés à la mesure d’émissions diffuses (à télédétection optique par exemple) est donnée dans le guide.
A noter que la méthodologie utilisée dans le cadre de la détection des émissions diffuses pourrait être employée pour la caractérisation d’autres types de rejets non maitrisés : relargage accidentel ou panache d’incendie.

Outil inventaire des flux

La MTD relative à un inventaire des effluents aqueux et atmosphériques, dite MTD « inventaire des flux », est présente dans la majorité des BREF révisés depuis 2016 et vise à faire réaliser par l’exploitant une évaluation détaillée des flux de polluants aux différentes étapes du process. La finalité est de mieux identifier à quel endroit il faut agir pour réduire le plus efficacement les émissions de polluants. Cette démarche présente un intérêt notamment pour prévenir tout risque de dilution. Ainsi, il sera plus efficace de traiter un effluent riche en COV en sortie d’un atelier, plutôt qu’après mélange avec les effluents d’un autre atelier.
L’inventaire peut également permettre de s’assurer de l’exhaustivité des polluants pris en compte, et notamment les substances pouvant avoir des impacts à faible concentration comme les substances classées SVHC (Substance of Very High Concern) au titre du Règlement Reach.
Par ailleurs, les flux de composés organiques volatils, et en particulier de solvants, entrants et sortants d’une installation peuvent être déterminés au moyen d’un plan de gestion des solvants (PGS) en vue de hiérarchiser les sources d’émission et d’identifier les actions permettant de réduire la consommation et les émissions de solvants. D’un point de vue réglementaire, le PGS (imposé par l’arrêté du 2 février 1998 à toutes les installations consommant plus de 1 t de solvants par an) et par le BREF WGC a également pour objectif d’évaluer les émissions totales et diffuses de façon à vérifier le respect des VLE issues du chapitre 5 de l’IED. Celui-ci s’applique aux installations utilisant des solvants, parmi lesquelles on retrouve notamment les productions pharmaceutiques qui doivent également mettre en œuvre les MTD des BREF de la chimie. Un guide d’élaboration d’un PGS  est disponible sur le site de l’Ineris.
La mise en œuvre de la MTD inventaire des flux étant apparue potentiellement complexe et sujette à interprétation, l’Ineris a mené, sur plusieurs années, une réflexion qui a permis de produire en 2022 un rapport de recommandations faisant actuellement l’objet d’une expérimentation sur un site volontaire pour évaluer la faisabilité et les limites des propositions. A l’issue du retour d’expérience, les propositions pour la mise en œuvre de cette MTD feront l’objet d’une publication sur le site internet de l’Ineris.


(1) Benzène, 1,3 butadiène, toluène, formaldéhyde, chlorométhane, dichlorométhane, 1,2-dichloroéthane, trichlorométhane, tétrachlorométhane, oxyde d’éthylène, oxyde de propylène