Analyses socioéconomiques et analyses coût-bénéfices

Des travaux internationaux et nationaux menés sur la pollution de l’air illustrent les enjeux sanitaires que peuvent représenter l’amélioration de la qualité de l’environnement. Le coût des impacts de la pollution de l’air sur la santé se chiffre en dizaines de milliards d’euros par an en France.

En 2012, le Commissariat Général au Développement Durable estimait que le coût de la pollution par les particules sur la santé était de l’ordre de 20 à 30 M€ par an, dont 13 à 21 M€ sont attribuables à la mortalité (réduction de l’espérance de vie ou morts prématurées). En 2015, la Commission d’enquête du Sénat partageait le constat selon lequel le coût total de la pollution de l’air est compris entre 67 et 98 M€ par an en France.

Le rapport de l’OCDE sur les performances environnementales de la France (2016) estime le coût de la mortalité liée à la pollution par les particules fines à près de 51 Mds € par an.
Ces études, malgré leurs différences, s’accordent toutes à reconnaître que le coût pour la santé de la pollution de l’air est loin d’être négligeable en France et en Europe. Au-delà des décès, les maladies dues à la pollution de l’air entraînent des dépenses qui concernent principalement le système de soins (consultations, soins, médicaments, hospitalisations, indemnités journalières, etc.) et la productivité économique (arrêts de travail, stress, etc.)
L’évaluation des impacts de la pollution de l’air sur la santé est une démarche en constante progression et à toutes les étapes de la chaîne de connaissances nécessaires pour évaluer le coût sanitaire de la pollution de l’air :

  • au niveau de la mesure des émissions et des concentrations de polluants, par exemple avec l’utilisation de la télédétection par satellite qui remplace les mesures de stations au sol. Ces progrès permettent d’améliorer la connaissance de l’exposition des populations à la pollution de l’air;
  • au niveau des évaluations des impacts sanitaires de la pollution de l’air, notamment avec l’établissement de nouvelles fonctions dose-réponse permettant un élargissement des pathologies considérées;
  • au niveau des évaluations économiques des coûts unitaires des impacts sanitaires.  

L’Ineris fait appel à des outils d’investigation économique afin d’évaluer les possibilités et les conséquences de stratégies de réduction des risques chroniques liés à l’exposition aux différentes sources de pollution atmosphérique.

Les politiques internationales (Commission économique pour l’Europe de l’ONU ; Union Européenne/Clean Air initiatives) de réduction des impacts sur l’environnement et la santé de la pollution atmosphérique sont actuellement fondées sur l'obligation pour les Etats de réduire leurs totaux d’émissions atmosphériques afin d’atteindre des objectifs optimaux fixés à l’aide du modèle GAINS développé par l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis, à Laxenburg en Autriche). Ce modèle prend en compte notamment les effets de la pollution atmosphérique (azote, soufre, précurseurs de l’ozone et des particules) sur la santé et les écosystèmes et les contraintes technico-économiques des pays.

Les travaux scientifiques qui alimentent ce modèle, ainsi que les analyses connexes sur les effets de la pollution, sont en grande partie développés ou discutés dans le cadre des groupes d’experts de la Convention Air (LRTAP - Long Range Transboundary Air Pollution). C’est aussi dans ce cadre que les méthodes et les critères sont mis à jour, tels que les métriques qui permettent de qualifier les impacts de la pollution atmosphérique sur la santé (relations doses-réponses) et sur les écosystèmes (charges critiques acidifiantes ou eutrophisantes, flux d’ozone ou doses phytotoxiques -PODy) pour la végétation). Des modèles sont développés pour traduire ces connaissances depuis les années 1990 dans des projets de recherche européens, et appliquées dans le cadre des travaux pour la Convention Air et la Commission européenne. Les équipes de l’Ineris sont également impliquées dans ces travaux et développent des versions “nationales” de ces outils de façon à pouvoir mener des études nationales en appui aux pouvoirs publics.

Évaluation des coûts et des bénéfices sanitaires de politiques de lutte contre la pollution de l’air : la chaîne de modèles Ineris

Une chaîne de modèles intégrés a été développée et mise en œuvre à l’Ineris pour évaluer les politiques de lutte contre la pollution atmosphérique en termes de coûts des actions, de leurs effets sur la qualité de l’air et des bénéfices sanitaires et environnementaux associés. Elle permet de quantifier puis de monétariser les effets sanitaires de politiques publiques caractérisées par des jeux de mesures complexes (scénarios) ou des mesures individuelles de réduction des émissions atmosphériques. Couplée à des modèles de climat, elle permet également de tenir compte de l’impact du changement climatique sur la qualité de l’air pour des scénarios de plus long terme. Cette chaîne de calcul a été utilisée dans différents cadres d’applications, tant dans des études d’appui aux pouvoirs publics au niveau national (notamment le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques ou PREPA, adopté pour la période 2017-2021, cf. décret et arrêté du 10 mai 2017), que dans des projets de recherche plus prospectifs au niveau national et européen. Il a également été utilisé dans le cadre des travaux pour les European Topic Centres de l’Agence européen de l’environnement (ETC/ACM et ETC/ATNI).

Méthode

L’analyse des impacts sanitaires de la pollution de l’air se base sur l’approche dite par voie d’impact (Impact pathway approach), illustrée par la Figure 1 (colonnes 1 et 2). Cette analyse prend comme point de départ les niveaux d’émissions actuels et futurs par secteur d’activité qui peuvent être obtenus dans le modèle GAINS-FR, la version française du modèle GAINS (Greenhouse Gas - Air Pollution Interactions and Synergies model) développé par l’IIASA. Les informations sur les émissions peuvent également être fournies par des inventaires ou projections nationales, tels que ceux développés par le Citepa.

Les scénarios d’émissions totales de polluants primaires par secteur sont ensuite spatialisés sur le domaine étudié. Pour la France, cette étape se base sur les données de l’Inventaire national spatialisé des émissions atmosphériques dont l’Ineris assure la gestion et la mise à jour à la demande du ministère chargé de l’environnement Citepa. La dispersion des polluants gazeux et particulaires et leurs transformations chimiques dans l’atmosphère sont modélisées par le modèle de chimie-transport CHIMERE (codéveloppé par l’Ineris et l’IPSL/CNRS). Ce modèle permet, à partir de données d’émissions primaires, de données météorologiques caractérisant la période d’étude et de la connaissance de la pollution atmosphérique aux limites du domaine d’étude, de calculer les concentrations atmosphériques de dizaines de polluants (gaz et aérosols) sur des domaines d’étendues variées (de quelques dizaines à des milliers de kilomètres).

Ces champs de concentrations de polluants sont croisés avec les densités d’habitants pour en déduire des expositions moyennes de la population aux PM2.5, à l’ozone et au NO2. Ce sont les données d’entrée du modèle de quantification et monétarisation des impacts sanitaires Alpha-RiskPoll-France (ARP-FR) licence française d’un outil développé par M. Holland et J. Spadaro (EMRC) pour la Commission européenne.

Les effets de la pollution de l’air sur la santé – en termes de mortalité et de différents indicateurs de morbidité (bronchite, admissions à l’hôpital pour causes respiratoires et cardiovasculaires, journées d’activité restreinte, journées de travail perdues…) – sont calculés à l’aide de fonctions concentrations/réponses liant des niveaux d’exposition aux polluants à des impacts sanitaires spécifiques. La quantification des effets sanitaires est spécifique aux classes d’âges pour lesquelles les fonctions concentration-réponse ont été développées sur la base d’études épidémiologiques.

Le modèle ARP-FR contient des bases de données avec des projections démographiques pour les pays européens, déclinées en fonction des classes d’âges des différents indicateurs sanitaires. Le modèle intègre des valeurs unitaires monétaires pour les différents effets sanitaires, ce qui permet d’attribuer une valeur monétaire globale aux effets sanitaires modélisés. La comparaison entre deux scénarios permet de calculer les effets sanitaires évités par la mise en place de mesures de réduction de la pollution atmosphérique et ainsi de quantifier les bénéfices sanitaires de ces mesures.

Lorsque les résultats du modèle ARP-FR sont utilisés à des fins d’analyses coûts-bénéfices, les résultats monétaires sont comparés aux informations sur les coûts de mesures ou de scénarios de réduction des émissions, venant par exemple du modèle GAINS-FR ou estimés par des experts (Figure 1, colonne 3).

schema

Concernant les effets sur la végétation (écosystèmes et cultures), les résultats de CHIMERE en termes de concentrations, ou alternativement des données d’observations, sont utilisés en données d’entrée des évaluations. Sur l‘ozone, la méthodologie PODy, qui permet de quantifier les flux stomatiques d’ozone (PODy pour “Phytotoxic ozone dose above a threshold Y of uptake”) été transposée dans un outil numérique (également appelé PODy) couplé à un outil permettant de quantifier puis monétariser leurs effets, en termes de pertes de production, sur différentes cultures (blé, pommes de terre, tomates), des prairies, et différentes d’essences de bois.

Résultats

Cette chaîne de modèles a été mise en œuvre dans des projets récents de recherche et d’appui auprès du ministère qui ont permis d’établir, entre autres, que :

  • les coûts de politiques ambitieuses de lutte contre le changement climatique peuvent être compensés par les co-bénéfices qu’elles génèrent en termes d’amélioration de la qualité de l’air et donc de coûts sanitaires évités, et en termes d’économies réalisées sur les politiques de lutte contre la pollution atmosphérique ;
  • il y a des bénéfices pour la France d’une coopération européenne dans la lutte contre la pollution atmosphérique. En effet, la France gagne presque autant en termes de coûts sanitaires évités par la mise en œuvre de la nouvelle directive sur les plafonds nationaux d’émissions (Directive (UE) 2016/2284) par les autres pays de l’UE28 que par la mise en œuvre de cette directive en France. Par ailleurs, les seuls bénéfices sanitaires calculés pour la France excèdent les coûts des mesures de réduction des émissions de notre pays.

Cette chaîne a été utilisée pour établir la performance coûts/bénéfices en France d’une cinquantaine de mesures de réduction des émissions dans le cadre du projet « Aide à la décision pour l’élaboration du PREPA », le Programme national de réduction des émissions de polluants atmosphériques qui a fait l’objet d’un nouvel arrêté dans la réglementation française publié le 10 mai 2017.
Il a également été appliqué dans le cadre de l’étude ECAMED (Etude de faisabilité technique de la mise en œuvre d’une zone de réduction des émissions des navires (ECA) en Méditerranée, menée en partenariat avec le Citepa, le Cerema et Plan Bleu, et dont l’objectif était d'évaluer le coût et les avantages pour la qualité de l'air de la mise en œuvre d'une zone de contrôle des émissions (ECA) en mer Méditerranée). L’étude a conclu que les bénéfices pour la santé de la mise en œuvre d'une SECA-NECA en Méditerranée étaient au moins trois fois plus élevés que les coûts, ce qui démontre la pertinence de cette stratégie pour la protection de la santé des citoyens dans les pays méditerranéens.
Les outils de quantification et des impacts de la qualité de l’air sont également utilisés dans le cadre de travaux pour le European Topic Centre on Air Pollution, Transport, Noise and Industrial pollution (ETC/ATNI) de l’Agence Européenne de l’Environnement (rapport ETC/ATNI 04/2020).

Investiguer les co-bénéfices des politiques qualité de l’air et climat

L’Ineris contribue aux travaux scientifiques notamment sur les coûts sanitaires évitables en Europe dus aux co-bénéfices sur la qualité de l’air de scénarios de mitigation du changement climatique (projet PRIMEQUAL Salut’air, contrat 2009-2013).

L’analyse coût-bénéfice de ce projet a conclu à un bilan presque équilibré des politiques environnementales ambitieuses, avec des coûts additionnels de l’atténuation du changement climatique (énergie et qualité de l’air) atteignant 65 milliards d’euros (€2005) par an en 2050, alors que les bénéfices sanitaires étaient estimés à 62 milliards d’euros (€2005) par an en 2050 (ce qui fait un coût net de 3 milliards d’euros €2005 par an en 2050). Il faut souligner que l’analyse des bénéfices se focalisait sur les bénéfices sanitaires d’une amélioration de la qualité de l’air. Tous les bénéfices des politiques n’étaient donc pas pris en compte dans cette analyse. L’analyse ne quantifiait notamment pas les dommages de la pollution atmosphérique sur les écosystèmes, les cultures et les matériaux qui sont évités grâce à la réduction de la politique atmosphérique. Il ne prenait pas non plus en compte des impacts de la réduction des gaz à effet de serre autres que ceux sur la qualité de l’air. Les bénéfices totaux des réductions d’émissions (air et gaz à effet de serre) étaient alors clairement sous-estimés.

L’Ineris a également développé l’outil de quantification et de monétarisation des effets de l’ozone troposphérique sur les cultures et certaines essences de bois dans le projet APollO. Cet outil se base sur l’indicateur des flux stomatiques de l’ozone (phytotoxic ozone dose, POD). Appliquant cet outil à des scénarios en France et en Europe, l’étude a montré une tendance à la baisse des impacts de l’ozone agrégés sur la France et l’Europe pour la période 1990-2030. Cette tendance cache des augmentations localisées d’impacts de l’ozone dans certaines régions en fonction de l’espèce végétale cultivée. Les pertes économiques agrégées sur la France restent importantes : en 2010, près d’1 milliard € pour le blé tendre, plus d’1 milliard € pour les prairies et plus de 200 millions € pour les pommes de terre.

Hiérarchisation des déterminants de la composition atmosphérique future en Europe

Afin d’améliorer les outils de modélisation permettant de réaliser ces études prospectives de long terme, se pose alors le problème des incertitudes dans la modélisation. L’approche privilégiée pour les études d’impact du climat est la modélisation ensembliste qui consiste à utiliser de multiples modèles de climat et non une seule source de données. Cependant, du fait de l’important coût de calcul, on constate qu’aucune étude réalisée par le passé sur l’impact du climat sur la qualité de l’air ne repose sur un ensemble large de projections climatiques.

L’Ineris a donc tiré parti de ses travaux précédents sur le sujet (qui reposaient sur un seul modèle), pour développer un métamodèle statistique  capable de reproduire la sensibilité climatique du modèle de chimie transport CHIMERE. Ce métamodèle peut, par la suite, être appliqué à un ensemble plus large de projections climatiques (typiquement l’ensemble des modèles du GIEC1, raffinés spatialement dans le programme EuroCordex). L’exploration d’un tel ensemble de modèles permet alors de quantifier, pour la première fois, les incertitudes relatives à l’impact du climat sur la qualité de l’air.

Ce métamodèle statistique a également été utilisé pour confronter l’impact du changement climatique aux réductions d’émissions anthropiques attendues à l’avenir sous l’effet des politiques d’amélioration de la qualité de l’air. Les résultats ont permis de mettre en évidence un « bénéfice climatique » qui s’explique par le fait que l’augmentation des températures favorise la volatilisation des particules semi-volatiles de la phase particulaire vers la phase gazeuse. La comparaison de l’effet du changement climatique et de l’effet des réductions d’émissions de particules et de précurseurs a démontré que les deux facteurs pouvaient atteindre des ordres de grandeur comparables en fonction des pays et des secteurs d’activité considérés.

Au contraire, pour l’ozone, la « pénalité climatique » (augmentation de la pollution à l’ozone sous l’effet de l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur) va contrebalancer les efforts de réduction d’émissions tels que planifiés entre 2010 et 2050.
On peut donc estimer, pour chaque pays européen, la notion « d’émergence » dans le domaine de l’impact du changement climatique, c’est-à-dire la date à partir de laquelle l’impact du changement climatique excédera l’impact induit par la réduction des émissions attendue dans la législation actuelle.

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Figure 1 / Comparaison des évolutions (Différence : Futur - Historique) des concentrations de PM2,5 (en μg/m3) et des niveaux de SOMO35 (indicateur d’impact de l’ozone pour la santé humaine, exprimé en ppb-jours : ppb.d) liées à l’impact du changement climatique et à l’évolution des émissions en France (l’ensemble de l’Europe étant présenté dans la thèse : V. Lemaire, 2017).