Post-accident : de la doctrine à l’approche de terrain. Quelle évolution ? Quels prélèvements et quelles études sur la population pour évaluer les impacts environnementaux et sanitaires ?

Les coups de projecteur de l’actualité donnent l’impression d’une logique réactive et peuvent gommer le travail de fond de la prise en compte et de l’évaluation des impacts environnementaux et des effets sur les populations. Si l’on regarde comment se sont construites et se construisent les compétences et l’expertise, la vision est différente et l’on constate en effet une continuité entre l’effort de recherche et la mise en œuvre d’études.

Années 1970’ : prémisses de la gestion des conséquences post-accidentelles

La question de la gestion des conséquences post accidentelles peut être retracée dès l’accident de Seveso du 10 Juillet 1976. En effet, c’est seulement 13 jours après l’évènement que la contamination a été identifiée et la population évacuée. Concrètement, cet accident a conduit à focaliser, avec les directives Seveso, les approches de sécurité industrielle lors de catastrophes industrielles aux effets immédiats. Les aspects post accidentels, tant sur le plan de l’anticipation, de l’expertise, de l’organisation de la réponse et de la gestion, ne sont redevenus un fort sujet de préoccupations qu’avec des accidents plus récents.
Plusieurs événements ont conduit à améliorer les approches de la réponse post accidentelle, en faisant prendre conscience de lacunes, en poussant aux limites les outils disponibles et en induisant des travaux de recherches au fil du temps : en France, l’explosion à l'usine AZF de Toulouse (21 septembre 2001), l’incendie dans l’installation SBM formulation de stockage de produits phytosanitaires à Béziers (27 Juin 2005), l’accident de Lubrizol à Rouen (21 Janvier 2013), l’incendie de Notre Dame de Paris (15 avril 2019), l’incendie de Lubrizol/NL Logistique (26 septembre 2019).

Source de la doctrine et principaux enjeux

Ce passage du retour d’expérience et de la recherche à la mise à disposition d’outils pratiques et opérationnels s’inscrit dans le mouvement d’une alimentation mutuelle et d’une amélioration continue.
La circulaire interministérielle du 20 février 2012 vient cadrer l’organisation des services de l’Etat autour de l’évaluation et de la gestion des conséquences environnementales et sanitaires des événements accidentels d’origine technologique.
Depuis, un premier enjeu se tient dans la définition des stratégies de prélèvements environnementaux. Cela se fait au travers de guides régulièrement actualisés. Pour chacune des situations, il convient de définir comment et où mesurer les polluants émis dans l’environnement, mais aussi d’identifier la « signature » de l’événement par rapport aux niveaux de pollution ambiants. Il faut donc intervenir sur le terrain et prélever des matrices environnementales telles que l’air, le sol superficiel, les denrées alimentaires …, en lien avec l’exposition humaine, dans les zones exposées mais aussi dans les zones non-exposées.
Un autre enjeu est de caractériser les expositions de la population et d’identifier les impacts sanitaires dans leur ensemble afin d’orienter les mesures de gestion. Les expositions peuvent être caractérisées à travers les prélèvements environnementaux en tenant compte des usages des milieux mais aussi grâce à de nouveaux outils de la surveillance sanitaire comme la biosurveillance humaine. Il convient de choisir et de mettre en place les études épidémiologiques qui permettront d’identifier les éventuels impacts sanitaires et ceux sur la santé globale et non uniquement physique. Comme bien indiqué par la définition de l’OMS, les relations entre l’environnement et la santé ne se limitent pas à la génération de pathologies organiques (intoxications, cancers) par exposition à des agents physiques ou chimiques. L’état de santé des populations vivant dans des environnements dégradés (proximité d’installations polluantes ou habitat insalubre par exemple), la santé mentale, la santé perçue, la qualité de vie, la complexité des relations environnement santé intégrant le contexte psychologique et social font l’objet de nouvelles approches.

Réseau d’acteurs en situation post-accidentelle : clé de voute

La Cellule Post-accident technologique est la structure de coordination réunissant des services départementaux et/ou régionaux de l’État sous l’autorité du Préfet. Elle appuie le Préfet sur l’évaluation des conséquences environnementales et sanitaires de l’évènement, et propose, si nécessaire, des mesures de gestion.
+ pour le volet environnemental :
•    L’Ineris en tant qu’expert en appui aux services de l’Etat, selon les besoins (définition du terme source, modélisation des zones de retombées maximales, plan d’investigations des matrices environnementales, interprétation des données).
•    la Cellule d’appui aux situations d’urgence (CASU) de l’Ineris, qui apporte aux autorités publiques une aide à la décision immédiate en cas de dangers à caractère technologique avéré ou imminent pour l’homme et l’environnement, dispose d’inventaires-types des produits émis dans différentes situations accidentelles, permettant d’accélérer les appuis aux situations d’urgence, lors des sollicitations par les services de l’Etat.
•    Pour accélérer la réalisation de prélèvements et d’analyses dans les heures suivant un accident, le Réseau d’intervenants en situation post-accidentelle, animé par l’Ineris, et opérationnel depuis 2013, fournit aux services concernés par l’accident une liste d’opérateurs mobilisables à proximité du lieu de l’accident.

+ pour le volet populations :
•    Santé publique France intervient en appui de l’ARS. Cette agence dispose d’une astreinte 24h/24 au niveau national pour répondre à ces missions en cas d’accident. Le programme de travail « Peraic » (Programme de préparation de la réponse épidémiologique aux accidents industriels et catastrophes) a permis de définir des fiches de conduite à tenir selon la nature de l’évènement (accident, nuage de pollution, catastrophe naturelle,…). Elles orientent rapidement les actions à mettre en place : identification des informations à recueillir et activation des réseaux de partenaires afin d’assurer une surveillance des impacts sur la santé dès la survenue de l’évènement et l’adapter…
•    L’ARS peut aussi s’appuyer sur l’expertise toxicologique des CAP-TV (centre antipoison et de toxicovigilance), des centres de consultation de pathologie professionnelle et environnementale placés dans les CHU pour identifier les dangers et les risques pour la population exposée et ainsi orienter les actions de protection et de prise en charge dont la nécessité de décontamination ou de dépistage…
•    L'Anses intervient dans le cadre de l'évaluation du risque alimentaire.
•    L’Ineris peut être amené à apporter son expertise sur le risque sanitaire notamment en concevant un schéma conceptuel d’exposition.

Ainsi, selon les impacts potentiels de l’accident sur la santé et selon la temporalité de leur survenue, différents types d’études peuvent être mis en place pour caractériser les expositions et les impacts sur les populations.

L’expérience acquise a aussi montré la nécessité de renforcer la cohérence des dispositifs de gestion de l’urgence et de gestion à moyen-long terme. En effet, il est indispensable que la gestion à plus long terme (analyse de l’événement avec la réalisation de prélèvements conservatoires, stratégie de prévention des risques pour la santé et l’environnement vis-à-vis des retombées) démarre dès le déclenchement de l'accident, sans attendre la fin de la phase d'urgence (dédiée à la lutte contre un incendie et la mise en sécurité des populations).

Couplage des approches environnementales et populations

Sur le terrain, les investigations d’une part dans les matrices environnementales et d’autre part auprès des populations sont complémentaires, selon des temporalités qui peuvent être différentes. Toutes les informations acquises (nature des polluants émis ou déversés, périmètre de retombées des suies ou du déversement, dispersion dans les compartiments environnementaux, nature des effets constatés, résultats des imprégnations biologiques…) aussi bien pendant la phase d’urgence qu’à moyen ou long terme doivent être croisées et intégrées pour orienter la gestion sanitaire post-accidentelle.   
Dès la phase d’urgence, une information régulière des acteurs de la santé sur la nature de l’accident et des expositions de la population est primordiale pour orienter la prise en charge sanitaire et le suivi épidémiologique. Inversement, une surveillance des motifs de recours aux soins et des retours des structures de santé sur les effets constatés sont primordiaux pour orienter les mesures de gestion et de prise en charge de la population, les recherches de polluants dans l’environnement (si l’effet est indicateur de la présence d’un polluant) et les suites de la surveillance épidémiologique.
Les clés du bon fonctionnement de la gestion post-accident résident dans l’association, le plus en amont possible, de tous les services concernés et dans la bonne circulation de l’information disponible auprès des services mobilisés en urgence et des opérateurs concernés par l’événement.

 

 

Rédaction : Karen Perronnet , Ineris et Myriam Blanchard, Santé publique France