Approches IED et éco-toxicologiques pour la gestion des rejets industriels

Les conclusions sur les Meilleures Techniques Disponibles (MTD) relatives aux systèmes communs de traitement/gestion des effluents aqueux et gazeux dans le secteur chimique (CWW) parues en 2016 ont introduit, pour la première fois dans le cadre de la directive sur les émissions industrielles (IED), l’obligation de mettre en place une surveillance des rejets aqueux faisant appel à des tests écotoxicologiques pour les sites chimiques concernés. Cette disposition a été depuis reprise dans le cadre du BREF Textile (publié en décembre 2022).
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A ce jour aucun Niveau d’Emission Associé (NEA) à cette MTD « écotox » n’a encore été fixé dans le cadre des documents de référence BREF. Toutefois, certains Etats membres ont déjà introduit des Valeurs Limites d’Emission (VLE) sur des essais de toxicité de manière systématique (l'Allemagne par exemple) ou au cas par cas (l’Autriche par exemple).
L’intérêt de la caractérisation de l’écotoxicité des rejets aqueux par l’intermédiaire d’essais biologiques, est de considérer les effets potentiels de l’ensemble des polluants biodisponibles dans l’effluent. Il s’agit d’une approche intégratrice, qui toutefois, à elle seule, ne permet pas d’identifier la ou les substances en cause dans la mise en exergue d’un effet. Elle trouve donc un intérêt à être utilisée en complément ou de manière combinée à une surveillance de paramètres physico-chimiques ciblés.
Des travaux sont menés dans le cadre du laboratoire national de référence (Aquaref), pour démontrer la pertinence des outils et permettre leur utilisation dans la surveillance des eaux. Un document Aquaref apporte des informations sur le sujet.

Ces méthodes écotoxicologiques s’appliquent en pratique selon les mêmes principes directeurs dans les rejets ou dans les milieux. L’articulation entre les méthodes chimiques, écotoxicologiques (et écologiques), et les méthodes chimiques, écotoxicologiques (et écologiques) ainsi que leur articulation sont décrites dans un document d’orientation pour l’évaluation du risque chimique pour les écosystèmes, publié par l’Ineris en avril 2022.   
Les approches écotoxicologiques sont également poussées dans le cadre de la réglementation européenne sur les milieux aquatiques (Directive Cadre sur l’Eau 2000/60/CE), notamment pour la surveillance de certaines substances comme les œstrogènes.

Méthodes basées sur les outils biologiques  

Les bioessais de laboratoire se répartissent globalement en deux grandes catégories :  

  • toxicité aiguë : essais à court terme qui permettent d'observer rapidement des manifestations toxiques significatives (par exemple, inhibition de la mobilité) jusqu’à la mort des organismes,  
  • toxicité chronique : essais à moyen et long terme qui se caractérisent par une exposition à de plus faibles concentrations de polluants mais qui peuvent aboutir, du fait de l'exposition prolongée, à des atteintes significatives des organismes considérés (par exemple inhibition de la croissance de la population, inhibition de la reproduction…).
Par ailleurs, d'autres types d’effets peuvent être observés au niveau moléculaire ou biochimique lors d'expositions des organismes à des substances ayant des propriétés cumulatives, génotoxiques, cancérigènes, immunotoxiques ou pouvant altérer le système endocrinien.  
Un seul bioessai ne peut être sensible à l'ensemble des contaminants présents dans un rejet aqueux. Chaque organisme test présente, en effet, une spécificité propre de réponse en fonction des classes de contaminants. Il apparaît donc que seule une association de plusieurs essais biologiques (ou batterie d'essais) permet de caractériser de façon exhaustive les effets de l'échantillon environnemental considéré.

Surveillance éco-toxicologique des rejets dans le cadre des BREF

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Les essais d’écotoxicité recommandés dans le cadre du BREF CWW (secteur de la chimie, MTD 4) et du BREF Textile (MTD 8) pour la surveillance des rejets aqueux permettent de mettre en évidence des effets toxiques généraux, de type aigu ou chronique. Ils font l’objet de protocoles normatifs, développés au niveau international depuis de nombreuses années, auxquels l’Ineris contribue activement en assurant la présidence de la commission T95E Ecotoxicologie de l’AFNOR et représentant la France dans des instances de normalisation internationales (ISO/TC 147 qualité de l’eau, CEN, OCDE). Ces essais couvrent différents niveaux trophiques (producteurs primaires, consommateurs primaires et consommateurs secondaires)

  • Essais de toxicité aiguë sur bactéries luminescentes (Vibrio fischeri, NF EN ISO 11348), crustacés (Daphnia magna Straus, NF EN ISO 6341) et poissons (premiers stades de développement pour les œufs de poissons-zèbre Danio rerio, NF ISO 15088),
  • Essais de toxicité chronique sur plusieurs espèces représentatives des producteurs primaires : les algues (NF EN ISO 8692, NF EN ISO 10253, NF EN ISO 10710) et la lentille d’eau (Lemna minor, NF EN ISO 20079).

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La liste des essais recommandés dans le BREF CWW a été complétée en ce qui concerne les lentilles d’eau dans le BREF textile. L’essai sur Spirodela polyrhiza (NF EN ISO 20227) prend en compte la croissance des premières frondes ayant germé à partir de turions (petits bourgeons végétatifs) sur une durée de 3 jours. Cet essai ne peut toutefois être considéré, pour l’instant, du fait d’un manque de recul et d’une évaluation des sensibilités respectives des deux essais sur rejets aqueux, comme équivalent à l’essai chronique d’une durée de 7 jours, décrit dans la norme NF EN ISO 20079, sur Lemna minor.
Parmi les producteurs primaires autres que les lentilles d’eau, les différentes espèces d’algues proposées permettent de couvrir différents milieux récepteurs (eaux douces : Pseudokirchneriella subcapitata ou Desmodesmus subspicatus ; eaux saumâtres et marines : Ceramium tenuicorne ; eaux marines : Skeletonema costatum, ou Phaeodactylum tricornutum). Il est donc possible de sélectionner l’essai en accord avec le milieu récepteur des effluents aqueux afin de se rapprocher des conditions réelles et donc de l’identification d’un éventuel impact sur le milieu récepteur. De plus, ces différentes espèces peuvent également permettre de mieux appréhender les effets toxiques des effluents salins.     
Cette batterie de tests permet donc d’apporter une information pertinente sur l’écotoxicité globale de l’effluent. Elle ne permettra toutefois pas d’identifier spécifiquement des substances à l’origine de certaines perturbations car elle n’intègre pas de tests (ou bioessais) spécifique d’un mode d’action toxique (par exemple perturbation endocrinienne).

Si la MTD relative à la surveillance des rejets aqueux par l’intermédiaire d’essais écotoxicologiques mentionne que la fréquence minimale de surveillance doit être déterminée sur la base d'une évaluation des risques, après caractérisation initiale, la notion de caractérisation initiale de l’écotoxicité de l’effluent aqueux n’est pas développée dans les conclusions sur les MTD. De même, les contours de l’évaluation des risques, permettant de déterminer cette fréquence minimale de surveillance, n’ont pas non plus été définis. La caractérisation initiale doit donc être déclinée au niveau de chaque Etat Membre en ce qui concerne les modalités pratiques, le nombre des données à collecter pour disposer d’une caractérisation initiale robuste et la batterie d’essais à appliquer.
Les experts de l’Ineris sont impliqués depuis plusieurs années dans la mise en œuvre de cette MTD sur différents sites industriels et accompagnent le ministère en charge de l’environnement pour poser les bases d’une démarche nationale commune aux sites industriels concernés afin d’harmoniser la phase de caractérisation initiale de l’écotoxicité des effluents et la sélection des essais à appliquer pour la surveillance périodique.

Approche complémentaire de gestion des effluents industriels basée sur des outils biologiques

Animalerie poisson - Mars 2019 © Franck DUNOUAU 11.jpg

Les approches écotoxicologiques peuvent s’intégrer dans une stratégie plus complète visant à poursuivre la caractérisation d’un effluent toxique par la recherche de la source, au sein de l’installation industrielle, entrainant l’écotoxicité constatée. La méthode Whole Effluent Assessment (WEA) est décrite notamment dans le BREF CWW, et consiste à estimer grâce à des bioessais, la persistance, le potentiel de bioaccumulation et la toxicité des rejets aqueux de manière globale. Elle permet également d'évaluer le caractère dangereux potentiel des effluents qui pourrait être insuffisamment contrôlé si l’on raisonne uniquement sur les indications fournies par des paramètres environnementaux conventionnels (ex : DCO, COT), ou par substance. Dans le cas où la toxicité d’un effluent est ainsi mise en évidence, la méthodologie TIE/TRE (Toxicity Identification/Reduction Evaluations) est une méthode itérative, également décrite dans le BREF CWW, qui permet d’identifier la cause et possiblement de réduire la toxicité.
 
Dans le cas des sites produisant des composés pharmaceutiques, phytopharmaceutiques, biocides et dans le cas des sites complexes à multiproductions/plateformes industrielles, mais aussi pour des usines mettant en œuvre de nombreux produits comme la production textile, la surveillance usuelle sur des composés spécifiques peut-être difficile à mettre en œuvre. Il peut alors être envisagé d’inclure ce type d’étude afin d’identifier les ateliers, lignes de production ou type de production pour lesquels des effets sont mis en exergue. Les informations ainsi obtenues sont alors des données d’entrée extrêmement intéressantes pour la mise en œuvre de la MTD relative à l’inventaire des flux.

Utilisation des outils biologiques dans d’autres contextes de surveillance des rejets industriels

Au-delà du cadre spécifique des MTD, l’application d’outils écotoxicologiques à des fins réglementaires ou prospectives est une démarche assez ancienne et éprouvée. L’Ineris accompagne ainsi les industriels en proposant des prestations adaptées au besoin, que ce soit dans une démarche volontaire pour l’identification précoce de risque ou la mise en place d’une surveillance à la demande de pouvoir publics.

Redevance pour pollution de l’eau  

Le paramètre Matières inhibitrices (MI) est un élément constitutif de la pollution utilisé pour le calcul de la redevance pour pollution de l’eau d’origine non domestique des agences de l’eau.
Il est représentatif de la toxicité d’un rejet : il désigne l'ensemble des polluants des eaux - minéraux et organiques - ayant une toxicité suffisante pour inhiber le développement et/ou l'activité des organismes aquatiques. L'unité de mesure est l'équitox (eq) et le kiloéquitox (keq ou ket) : quantité de toxicité qui, dans 1 m3 d'eau, immobilise, au bout de 24 heures, 50 % des daphnies présentes.